N’inondez pas le rivage : voici ce que peuvent faire les plaisanciers pour aider les oiseaux nicheurs des îles

Par Jean-Michel DeVink, directeur national, Planification de la conservation, Canards Illimités Canada

Sur nos littoraux accidentés de l’Est, de l’Ouest et du Nord comme dans une multitude de lacs partout au Canada, nous avons la chance de compter sur d’abondantes provisions d’eau d’un océan à l’autre.

Ces littoraux et lacs sont ponctués d’innombrables îles plus ou moins grandes, qu’il s’agisse d’un monticule qui émerge à la surface de l’eau ou de vastes étendues boisées de terre, dont, en fait, l’une de nos magnifiques provinces de l’Atlantique. Certains Canadiens ont la chance d’habiter dans ces îles, dont la plupart sont à l’état naturel et n’accueillent que de rares visiteurs.

Les îles : des lieux sûrs pour les représentants de la faune (dans certains cas)

Le meilleur moyen d’explorer ces îles consiste à s’y rendre en bateau, et la plupart des plaisanciers comme moi sont attirés par le mystère de ces îles. En fait, hormis de petits rongeurs, la plupart de ces îles n’ont pas de population de mammifères terrestres. Selon l’un des principes de la biogéographie des îles, plus l’île est petite et plus elle est éloignée des rivages du continent, moins les espèces qu’on y trouve sont nombreuses. À l’exception des humains, les mammifères n’ont pas la chance de pouvoir se construire des bateaux pour atteindre ces îles, et rares sont ceux qui sont prêts à s’y rendre à la nage, à moins d’être une loutre, un castor, un vison ou un rat musqué. Certains animaux s’y rendent en hiver, quand ils peuvent le faire sur la glace, sans toutefois y rester s’il n’y a pas suffisamment de quoi se nourrir. Les mammifères comme les orignaux nagent sur de courtes distances pour se rendre dans les petites îles afin de donner naissance à leur progéniture, puisque les prédateurs comme les loups, les coyotes et les ours risquent moins de s’y rendre.

Les oiseaux : maîtres des îles

Les orignaux ne sont pas les seuls animaux à constater qu’il est plus sûr de donner naissance à leur progéniture sur une île. En fait, les oiseaux sont les « maîtres des îles » et on pourrait même dire qu’ils sont les hydravions du règne animal, puisqu’il est plus facile de se rendre dans une île si on a des ailes et qu’on peut amerrir. C’est la principale raison pour laquelle vous pourrez probablement apercevoir des oiseaux qui nichent sur les îles, dans ces lacs ou sur les côtes. Les oiseaux savent que se reproduire sur les îles leur permet de rester à l’écart des mammifères prédateurs qui seraient heureux de se rassasier de leurs œufs ou des femelles nicheuses. Si de nombreuses espèces d’oiseaux foisonnent sur les îles, c’est aussi parce que plusieurs d’entre elles sont des oiseaux aquatiques et se nourrissent de plantes, d’insectes, de poissons et d’amphibiens dans les plans d’eau environnants.

De nombreux oiseaux nicheurs dans les îles sont des espèces sociales qui trouvent la sécurité de par les bienfaits de nicher ensemble, en grand nombre et en colonies. Les espèces évidentes qui nichent en colonie comme les goélands, les hérons et les pélicans ont des sites de nidification discrets et s’organisent pour que les sites qu’ils choisissent ne soient pas les plus agréables à visiter à cause du bruit qu’ils font et de l’odeur du guano. Certaines espèces peuvent être d’emblée désagréables et vont même jusqu’à attaquer les intrus : les chercheurs doivent même porter le casque de sécurité lorsqu’ils travaillent dans les colonies de sternes afin d’éviter de se faire entailler le cuir chevelu.

Une randonnée dans une colonie d’oiseaux nicheurs qui n’a pas l’habitude de voir de gros mammifères peut causer le tumulte et amener les jeunes à déserter le nid et à se précipiter dans l’eau, où ils ne survivront probablement pas; ou encore, d’autres oiseaux peuvent s’emparer des œufs qui ne sont plus protégés quand les adultes s’envolent pour fuir. Pour ces raisons, il est préférable de ne pas visiter les colonies nicheuses actives et de les apprécier de loin.

L’oiseau nicheur insulaire emblématique mais vulnérable : le plongeon huard

Il y a aussi certains facteurs dont les plaisanciers doivent tenir compte à propos de ces oiseaux nicheurs insulaires solitaires. L’emblématique plongeon huard qui décore nos pièces d’un dollar est lui aussi essentiellement un oiseau nicheur des îles. Or, ses nids sont difficiles à repérer : le plongeon huard ne s’annonce pas et a tendance à s’éloigner furtivement dans l’eau avant l’arrivée des plaisanciers ou des prédateurs.

Le huard est l’une des rares espèces qui est plus chez elle dans l’eau que dans les airs ou sur la terre. Ses ailes longues et étroites l’obligent à courir (en pagayant) pour s’élancer dans les airs et décoller dans le sens du vent, à la différence du canard, qui peut décoller presque tout de suite. Ses pattes sont aussi très reculées sur son corps, ce qui est prodigieux quand il s’agit de se propulser sous l’eau en chassant les poissons, mais ce qui les fait paraître maladroits lorsqu’ils marchent sur la terre. Effectivement, quand ils nichent dans les îles, ils ont tendance à s’installer tout de suite sur le bord de l’eau, près de talus abrupts et profonds, pour pouvoir se rendre à leur nid en sortant de l’eau afin d’éviter d’être suivis.

Les huards déposent un ou deux œufs dans leur nid posé sur la terre dans certaines parties des îles; ils ont tendance à protéger leur nid contre le vent et les vagues causées par le vent qui peuvent balayer leur nid et tuer les embryons. Or, puisqu’ils n’appartiennent pas dans un monde peuplé de bateaux à moteur, ces sites de nidification ne sont pas nécessairement protégés contre les vagues causées par les embarcations. En fait, parcourir les lacs en bateau est l’une des principales raisons pour lesquelles des nids sont détruits et que des huards disparaissent sur ces lacs.

Ce que les plaisanciers peuvent faire pour venir en aide à nos oiseaux nicheurs des îles

Les huards et les autres oiseaux nicheurs des îles ont tendance à pondre leurs œufs en mai ou en juin et à élever leur progéniture en juillet ou au début d’août. La plupart des jeunes huards deviennent alors autonomes et sont moins pénalisés par les plaisanciers. Donc, si vous êtes impatients d’explorer des îles inhabitées, n’oubliez pas qu’il pourrait y avoir sur ces îles d’autres habitants en quête de lieux sûrs pour élever leur progéniture. Et quand vous faites des randonnées en bateau, pensez à éviter ces îles quand vous passez devant pendant la saison de nidification pour éviter d’inonder le rivage : vous en récolterez les bienfaits en vous laissant sérénader par les chants distinctifs de la faune du Canada, qui fait toute la majesté de nos lacs.

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